L'éclipse du 11 août 1999 vue de Mazagran (Ardennes)
Nous sommes partis de Saumur le lundi 9 vers la Normandie, en emportant un équatorial électrique fait-maison, qui avait déjà servi pour l'éclipse du 16 février 1980 en Inde, et révisé pour une latitude plus courante sous nos cieux. Après nous être arrêté à Grandvilliers (pas de camping), nous cherchons dans les villages plus à l'ouest situés sur la ligne de centralité, et nous trouvons dans la mairie de Nesles-Hodeng, près de Neufchâtel-en-Bray au-dessus de Rouen, encore ouverte à 18 h, une dame qui nous offre très aimablement son pré pour camper. Nous nous y installons entre deux averses, sur une belle herbe grasse mais en terrain non boueux. Inutile de commencer l'installation de l'instrument sous ces averses.
Le lendemain matin, mardi, il faut bien commencer à mettre en place l'équatorial malgré les averses intermittentes. Nous avons prévu des bâches. Il nous faudrait quand même un ou deux rayons de soleil pour prendre l'ombre d'un bâton planté verticalement dans le sol, afin de déterminer le méridien du lieu pour orienter l'axe de l'équatorial et commencer la répétition des tâches à effectuer le jour J. Le soleil ne se montre pas... Nuages bas et gris toute la matinée. Discussions avec les campeurs voisins venus pour les mêmes raisons que nous.
Vers midi, météofrance annonce à la radio que les sites les moins mauvais pour le lendemain seraient entre Reims et Metz ! Un astronome amateur installé près de nous ce matin (un menuisier d'une trentaine d'années, venant de Toulouse avec un camping-car sommairement préparé pour l'occasion de l'éclipse, et qui s'est mis à l'astronomie depuis le début de l'année grâce à cet évênement), cet astronome amateur donc, téléphone avec son portable aux numéros départementaux de météofrance : il est clair que si l'on reste là où l'on est, on ne verra que des nuages. Nous décidons de partir vers Reims, et plus exactement vers Vouziers, bien placé entre Reims et Metz. En une demi-heure nous rangeons matériel astro et tente. Il y a 250 km à faire et il est déjà 15h30.
Après Reims, en roulant vers l'Est dans la campagne, le nombre de tentes et de camping-cars installés dans les champs devient de plus en plus impressionnant. Nous passons devant un camp clôturé grouillant de monde et renfermant des centaines de tentes avec du matériel astro déployé. Le camping sauvage ne semble pas interdit dans ces régions, une aubaine. Le soir venant, nous nous installons à une dizaine de km avant Vouziers, près du lieu-dit Mazagran, alors qu'il est 20h. Il fait encore bien jour pour pouvoir installer le matériel sans difficulté. Le soir les étoiles sont visibles entre les nuages éparses moins denses qu'en normandie, ce qui permet le réglage de l'équatorial (dont l'angle avait été préréglé avant le départ à la latitude de 49,5°).
Mercredi : lever à 5h30 pour achever l'installation. Pose de la lunette Perl (Ø 60 mm / f=700mm) sur le plateau de l'équatorial, de l'appareil photo au foyer de la lunette (avec doubleur de focale), de la caméra super8 (Leicina, avec intervallomètre-séquenceur), d'un trépied au sol avec un appareil photo 24×36 et téléobjectif 2,8/180mm, mise en place des films, des piles, des filtres... Tout est prêt à 7h.... mais le temps est complètement bouché. Il souffle un petit vent du nord qui donne un peu d'espoir. Il fait 16°C, on grelotte. Autour de nous plusieurs véhicules se sont rangés depuis la veille, et d'autres arrivent, la campagne environnante se remplit de groupes de curieux : allemands, belges, hollandais, français de tous les départements.
en attendant la totalité
Vers 10h le soleil fait une timide apparition derrière les nuages. Je peux en faire l'acquisition dans la lunette et mettre en marche le moteur de l'équatorial. Mise en marche de la caméra à 10h37 pour la 1ère séquence (zoom sur le soleil de f = 8mm à f = 64mm à raison d'un cran toutes les 4s). A 11h07 et quelques secondes le 1er contact est visible malgré les nuages, qui semblent moins denses.Trois minuscules tâches solaires sont visibles dans la lunette. La lune invisible a bien attaqué le disque solaire en haut à gauche, conformément aux prévisions du Bureau des Longitudes qui avait donné un angle Z = 319° (angle au zénith). Avant le 2ème contact, les nuages jouent à cache-cache avec le soleil.
Une belle trouée au nord promet un ciel dégagé pour la phase de la totalité. Elle a lieu à 12h25min18s, un petit nuage passe à ce moment devant le phénomène et défilera pendant toute la durée de la totalité. Vénus apparaît au sud-est du disque dans le ciel assombri. A l'oeil nu et aux jumelles le spectacle est extraordinaire. Une lueur blanche sort, émane du soleil, en suivant de fines lignes qui ressemblent à des plumes d'oiseau. En même temps une couleur d'un rose jamais vu entoure le disque noir. Aux jumelles, de courts jets rouges partent du bord du disque noir. Ils sont nombreux, et une mèche rouge est même détachée du disque. La lumière ambiante est très faible mais suffisante pour pouvoir lire le listing sur la feuille de prises de vues, sans doûte à cause du nuage blanc qui diffuse la lumière de la couronne solaire. En Inde, en 1980, la lecture était impossible lors de la totalité, mais l'éclipse avait eu lieu dans un ciel pur. Nous prenons des photos en balayant tous les temps de pose afin d'avoir aussi bien la basse couronne que la couronne lointaine. Les spectateurs qui ont applaudi au début, font des Oh d'émerveillement. Et la nature est comme figée dans un silence inhabituel à cette heure.
Et brutalement, une lumière intense, aveuglante, apparaît en haut à gauche du disque. Ce n'est pas possible qu'il se soit écoulé 2min16s ! Ils ont fait une erreur dans leurs prévisions, ou alors on n'est pas sur la ligne ! Un coup d'oeil à l'horloge radiopilotée montre qu'il est 12h27min34s. Ce n'est pas croyable qu'il se soit écoulé plus de deux minutes ! On est frustés, on a l'impression que ça n'a duré que 10 secondes ! Et le soleil nous cache sa beauté, tout disparaît, plus de couronne blanche, plus de lueur rose, plus de jets rouges, plus d'étoiles, plus de Vénus. Le bijou nous a été retiré de la vue. Pourtant il est là, derrière ce ciel dont la clarté nous le cache en permanence. Quelle majesté ! Et tout est redevenu banal comme avant. Sauf qu'un coup d'oeil avec les lunettes montrent bien qu'on n'a pas rêvé. Le disque solaire n'a pas encore repris sa forme habituelle. Mais après tant de beauté, la fin est tellement fade que la plupart des gens qui nous entourent partent. Il reste trois voitures, et des gens qui semblent revenir d'un voyage incroyable, touchés, émus. La prochaine, c'est quand ? Tout le monde semble le savoir, que c'est en juin 2001, et qu'il faudrait aller à Madagascar ou par là-bas. Ca y est, ils sont près d'attrapper le virus des chasseurs d'éclipse...
En tout cas, pas d'embouteillages de retour pour nous. Nous avons attendu la fin de l'éclipse vers 13h48, et même au-delà, pour terminer le film, sous un ciel complètement couvert. Il restait deux jeunes amoureux, déjeûnant près de leur véhicule, au bord de ce champ de céréales moissonné...